François Roustang s’est intéressé à l’hypnose lorsqu’il réfléchissait à la résolution du transfert en psychanalyse. Constatant une impasse, il est remonté à la source, à l’hypnose. Pour se faire, il a été se former aux Etats-Unis auprès de personnes ayant elles même été formées par Milton Erickson. Cela a profondément marqué sa pratique et l’a mené à l’abandon de la psychanalyse au profit de l’hypno-thérapie.
L’exigence intellectuelle de F.Roustang a entrainée une réflexion profonde autour de la nature de l’hypnose qui a traversé son œuvre de « qu’est-ce que l’hypnose » (1994) aux derniers chapitres d’ « il suffit d’un geste » (2003). Il se présentait comme un mineur qui creuse une veine, à l’aveugle. Sa réflexion est marquée par trois axes. D’abord un abord de la spécificité de la relation patient-hypno thérapeute par rapport à la relation analysant-analysé. Au cours de cette réflexion F.Roustang acheva de se détacher de la psychanalyse. Dans le même temps, en parallèle, il mena une recherche sur la possibilité d’une élaboration de ce qu’est l’état d’hypnose. Enfin, c’est là l’essentiel de son apport, une recherche sur le positionnement de l’hypno-thérapeute.
Ayant une formation intellectuelle d’une rare exigence et une culture extrêmement riche, François Roustang fut bouleversé par la lecture du « zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » de E.Herrigel (1953). Cette lecture conjugué à la notion de « perceptude » de Jean-Louis Lamande, permirent l’émergence d’une hypnose dont j’affirme qu’elle est détachée de celle d’Erickson : l’hypnose de Roustang.
F. Roustang a insisté sur l’accès « à tout » permis par l’hypnose. Loin d’un accès aux capacités de l’inconscient, il s’agit ici d’une ouverture au monde tel qu’il est. En état de veille, nous sommes focalisés sur l’interprétation que nous faisons du monde. Nous (nous) vivons comme détachés du monde, nous (nous) objectivons. L’hypnose permet de se laisser fondre dans le monde, de se laisser faire par l’environnement. En état de veille, nous agissons, nous sommes dans de l’intention, dans du vouloir. Par l’hypnose, nous pouvons nous laisser faire, nous laisser transformer. C’est ce passage par l’absence de vouloir associé à une immersion dans l’environnement qui permet le changement.
L’idée défendue par F.Roustang est que pour qu’il y ait changement, il faut qu’il y ait abdication du vouloir, de l’importance donnée à soi. Une personne ne peut se changer elle-même car elle est coincée dans ce qui l’empêche de se laisser transformer.
Lorsqu’elle est en état d’hypnose la personne change de plan, elle passe de la perception à la perceptude. C’est-à-dire qu’elle passe d’une relation au monde basée sur du quantifiable et du descriptible (perception), à un plan de confusion générale basée sur le ressenti, le non-communicable (perceptude). Dans ce plan la personne se fond dans son environnement au niveau perceptude et s’y laisse faire.
Mes travaux (Sensfelder, 2017) soulignent le lien entre l’action de l’immersion dans la perceptude et le mécanisme d’adaptation chez le bébé. Ainsi, c’est un retour à un fonctionnement fondamental de l’humain, dominant lorsqu’il est nourrisson qui permet le changement. Ce n’est donc ni l’hypno-thérapeute, ni le patient qui agissent, c’est l’environnement.
François Roustang à insisté sur le positionnement de l’hypno-thérapeute, au fil de sa réflexion, le thérapeute tel qu’il le présente, agit de moins en moins. Alors qu’au début des travaux de Roustang le thérapeute est présenté comme créant la confusion par la parole (Influence, 1990), il glisse dans le non-agir, le « ne rien faire ». Dans ces dernières publications, Roustang soulignait l’inutilité de la parole (Jamais contre, d’abord: La présence d’un corps, 2015). C’est d’un centrage sur la qualité de présence qu’il s’agit, le thérapeute se positionnant en personne présente tout en étant dépouillée de toute préoccupation personnelle, le thérapeute se situe hors personnage social, il est simplement humain au sens le plus primitif du terme. Roustang se taisait estimant la parole hors propos…
François Roustang défendait l’idée qu’il n’y a pas de malades, mais des maladroits. La vie étant un mouvement permanent, la souffrance et les symptômes étaient perçus comme les reflets de faux mouvements, de maladresses. La maladresse c’est ce qui vient arrêter le mouvement. Le changement rendu possible par l’immersion dans la perceptude, est le retour du mouvement là où il était bloqué, à l’arrêt ou absent.
Cet abord de la pathologie présente la caractéristique fondamentale d’extraire le patient de la culpabilité. Nous étions habitués au discours psychanalytique qui, depuis l’injonction faite à Irma (Freud), considère l’analysant comme coupable de sa pathologie. Cette sortie radicale de la culpabilité par l’idée de maladresse inscrit l’hypnose de Roustang dans une dimension radicalement autre. Roustang, considérait que chacun fait ce qu’il peut, du mieux qu’il peut. Il acceptait donc l’autre là où il en était comme allant de soi. Se positionnement déstabilisait beaucoup, car les personnes qui le consultaient, elles, refusaient d’en être là où elles en étaient… « Si on accepte d’être là où l’on est, on a tout gagné. » (F.Roustang, interview arche)
Cette acceptation que l’autre (en) soit là où il (en) est, cette acceptation que le thérapeute (en) soit là où il (en) est, était l’entrée en matière de la séance avec Roustang. Puis venait le repérage du lieu de maladresse(s) et enfin l’hypnose en elle-même pour changer. Mais, en fait, par son travail sur lui, par son acceptation de lui-même, ce que Roustang a enseigné aux thérapeutes c’est qu’une fois à notre juste place, tout se fait tout seul. En effet, nous ne faisons rien pour accepter l’autre, cela se fait, nous ne cherchons pas le lieu de maladresse, il s’impose, nous n’induisons pas d’hypnose, nous nous laissons faire et constatons ce qui se passe… Nous ne faisons rien… Comme le soulignait Lao Tseu : « Par le non-agir, il n’y a rien qui ne se fasse » (Tao te king).
L’hypnose de Roustang était donc une hypnose taoïste…
Bernard Sensfelder