Dans cet entretien, les fondateurs de l’Eïnophonie®, B. Grenard et B. Sensfelder, expliquent les principes de leur approche. Dans la double filiation de François Roustang et de Serge Wilfart, l’Eïnophonie creuse son propre sillon en proposant une plongée au cœur de l’Être en pleine conscience par la transe et le chant.
Qu’est-ce que l’Eïnophonie ?
B. Grenard: C’est la combinaison de deux mots : « eïnaï » qui signifie être, et « phonie » qui signifie son. Il s’agit de la rencontre de deux pratiques : la Pneumaphonie initiée par Serge Wilfart et l’Eïnothérapie inventée par Bernard Sensfelder.
B. Sensfelder : Ma pratique est elle-même dérivée de l’Ecothérapie telle que l’a définie François Roustang. Dans Eïnophonie, il y a la notion de « son de l’Être » et « arriver à l’Être par le son ».
B. Grenard: Et réciproquement, il y aussi cette expérience d’arriver au « son par l’Être ».
Cette pratique est issue d’une rencontre entre vous deux. En même temps, vos parcours sont fondamentalement différents.
B. Grenard : Absolument. Pour ma part, je suis un pneumaphoniste formé par Serge Wilfart depuis 10 ans. Je m’intéresse à beaucoup de pratiques diverses (tantra, yoga, chamanisme…). Mon intérêt pour la Pneumaphonie s’est manifesté à un moment où j’étais en difficulté par rapport à la voix parlée. Enseignant la musique, je n’avais pas de problème par rapport à la voix chantée, mais utiliser ma voix parlée était une autre histoire. La Pneumaphonie m’a cependant ouvert un espace de découverte bien plus large, réveillant complètement un corps et une énergie que je redécouvrais. Mes diverses pratiques se sont depuis entièrement transformées et c’est tout un cheminement intérieur qui s’incarne, qui trouve sa matière, avec une trajectoire de vie qui fait sens et me correspond plus que jamais intimement.
B. Sensfelder : Quant à moi, je suis psychologue et hypnothérapeute. Après tout un parcours, j’en suis venu d’abord aux pratiques de Roustang, c’est-à-dire au mélange du Zen et de l’hypnose et à toute cette notion de « laisser le corps faire par lui-même à la place de l’individu ». La différence d’approche entre Roustang et moi, c’est que lui est arrivé là après tout un parcours philosophique, alors que moi j’y suis arrivé après un parcours à travers les neurosciences. Il y a eu, entre Roustang et moi, tout un dialogue autour de cela et un accord sur les possibilités d’allier nos approches. Il m’a ainsi invité et encouragé à creuser mon propre sillon.
Pour en revenir à l’association Eïnothérapie-Pneumaphonie, pourquoi avoir combiné deux pratiques si bien définies à l’origine ?
B. Grenard : Cette combinaison s’est faite de manière spontanée et naturelle. Nous ne sommes pas partis d’un concept, mais d’une expérience. Bernard est intervenu à plusieurs reprises dans certains de mes stages et, de fil en aiguille, cette nouvelle pratique est née et s’est développée sous nos yeux. Nous avons « laissé faire ». Cela s’est fait simplement. En soi, c’est déjà pour moi l’indicateur que nous étions dans le juste.
Ensuite, il faut souligner que cette combinaison est possible parce qu’il y a des liens forts entre les deux approches. Le premier lien est l’état hypnotique, un autre est ce même chemin vers plus de dépouillement. En ce qui concerne l’état hypnotique, il s’agit cela dit d’un état bien particulier que nous allons préciser, car, l’hypnose, dans l’imaginaire collectif, peut, à juste titre, faire peur.
Dans le Souffle-Voix, on touche en effet un état de transe plus ou moins profond mais toujours en pleine conscience, ce qui évite les problèmes liés à la manipulation de la personne. Il se trouve que cet état est une des infinies modalités de l’état hypnotique, de sorte que beaucoup de pneumaphonistes font de l’hypnose sans le savoir.
L’hypnose que vous ajoutez, initiée par Roustang, et que vous pratiquez tous deux, respecte donc l’esprit de ce que l’on touche en Pneumaphonie ?
B. Sensfelder : Tout à fait. Nous n’avons rien à voir notamment avec l’hypnose que l’on voit le plus couramment que l’on appelle ericksonnienne. Quelles différences y-a-t-il ? Milton Erickson est un grand monsieur de l’hypnothérapie, américain, qui était dans l’optique de « faire ». Avec, tout de même, une notion extrêmement passionnante chez lui qui est qu’il n’y a pas d’approche valable pour tous les individus, mais qu’il y a à créer une thérapie pour chacun. Erickson faisait ainsi une thérapie différente pour chaque personne dont il s’occupait. En tant que tel, il était particulièrement génial et cette manière est tout à fait intéressante et inspirante. Mais c’était quelqu’un qui était aussi dans « agir », « faire », « construire ».
Le principe de base qu’a développé Roustang est exactement à l’opposé, en gardant toutefois la notion de singularité de l’individu – et donc l’aspect intuitif et créatif de l’hypnose adapté à la personne. La notion de base est « ne rien faire » pour permettre au corps de la personne de faire à sa place. En tant que tel, le thérapeute est là pour permettre que « rien ne se fasse » et doit se mettre lui-même dans un état favorisant cette ouverture, permettant ainsi à l’Être qui est présent de se manifester et, enfin, d’investir son propre corps. Tout cela, sans rien faire, c’est-à-dire que des choses se font spontanément parce que cela peut se faire, les conditions étant réunies. Donc, là, on est dans un mode d’hypnose extrêmement particulier qui n’a rien à voir avec ce que l’on a l’habitude de voir. On laisse le corps faire, et tout ce qui est mental, imaginaire, comportement, on ne s’en occupe pas.
Il s’agit donc d’une transe légère dans laquelle on reste parfaitement conscient ?
B. Sensfelder : Oui, tout à fait. Quand elle est dans ce type d’hypnose, la personne garde une forme de maîtrise qui fait, que, si elle le souhaite, elle peut arrêter le processus. De même, les inductions que nous utilisons sont sélectionnées de manière à ce que, si, pour une raison ou pour une autre, il n’est pas souhaitable que la personne parte en hypnose, elle ne partira pas.
Dans ce cas-là, le Souffle-Voix pur prendra le relais et fera très bien son travail. Dans le même esprit, il n’y a pas de suggestions post-hypnotiques : il y a juste une acceptation de la personne telle qu’elle est maintenant, sans projet pour l’avenir. On laisse les choses se redéfinir par elles-mêmes.
B. Grenard : j’abonde dans le sens de Bernard. L’hypnose telle que nous la pratiquons s’appuie sur une éthique. Tout est fait dans le sens et le respect du corps, ce qui n’est pas le cas de certaines hypnoses recourant à des inductions-flash très contestables, qui consistent à donner au corps des impulsions contradictoires en un laps de temps très très court. Or, le corps a besoin d’être senti et ressenti dans le temps et la lenteur…
Dans l’Eïnophonie, l’hypnose est réduite à une épure pour aller plus près des rivages de la méditation et du Zen. Ce qui nous importe, aussi, est que le pratiquant puisse aller dans le sens de son autonomie pour initier et guider cet état, de sorte que la conscience et la clarté puissent entrer en connexion avec, ce que l’on pourrait appeler, « l’Esprit des Profondeurs ».
Ce que je constate, rétrospectivement, par rapport à ma formation avec Serge Wilfart, c’est que dans un certain nombre de séances, qui se passaient d’ailleurs de manière fluide et limpide, j’étais déjà « dedans », ce qui se traduisait par un état d’auto-hypnose, sans que j’aie mis cette notion précise sur ce que je vivais. A l’époque, je faisais des analogies avec ce que je vivais dans des pratiques tantriques mais je n’avais pas fait le lien avec les états hypnotiques.
En somme, il s’agit d’une plongée à l’intérieur de soi…?
B. Grenard : Absolument. L’une de mes préoccupations premières, quand j’ai commencé à enseigner la Pneumaphonie, c’est que la personne puisse être spontanément et consciemment dans cette disponibilité intérieure : j’ai inventé des exercices qui consistaient à ce que la personne se mette « dedans » avant d’arriver sur le tapis, qu’elle apprenne à plonger en elle, qu’elle apprenne à sentir un équilibre entre une forte intériorité et le maintien d’une partie d’elle-même avec l’environnement, et puis qu’elle sente par elle-même comment ça se passe quand elle sort progressivement de cet état. Bref, que toutes ces étapes se passent avec conscience et maîtrise. En réalité, c’est tout un engagement de l’esprit dans le Présent, dans ce qui est déjà là, en la personne, et que souvent, elle occulte.
La rencontre avec l’hypnose, façon Roustang, m’a permis d’apporter des réponses encore plus concrètes à cette question de « comment on plonge à l’intérieur de soi », « comment on tourne le regard vers l’intérieur ». Et, de ce point de vue, nous invitons les gens à aller consciemment dans cette direction et à aller dans le sens de leur autonomie. Sachant que lorsqu’on contacte cette disponibilité, le processus initié par le Souffle-Voix se fait de manière limpide. Des outils tirés de l’Eïnothérapie sont donc naturellement venus nourrir la direction que j’étais en train d’explorer dans la Pneumaphonie.
Mais c’est loin d’être le seul apport de l’hypnose façon Roustang. Il y a dans l’Eïnophonie, tout l’aspect thérapeutique tiré de l’expérience de Bernard.
Propos recueillis par Christine Bedel du Tertre, le 16/01/2017